Textes de Franz Kreysler
De l’intervalle aux inquiétudes à propos de l’exposition un espace indicible ? de Guillaume Hillairet.
Comme une cynégétique à propos de l'exposition tracé(s) de Leila Sadel.
Utopos dialogue avec Guillaume Hillairet à propos de l'exposition Utopos. english
Tout ce que l'on fait est sur fond de silence à propos de l'exposition Tout ce que l'on fait est sur fond de silence de Leila Sadel.
Le corps est fiction, le corps est dans la fiction à propos du travail de Leila Sadel.
De l’intervalle aux inquiétudes à propos de l’exposition un espace indicible ? de Guillaume Hillairet.
un espace indicible ? s’inscrit dans le travail de Guillaume Hillairet comme un point de rencontre, un moment où les pleins et les déliés d’une écriture plastique trouvent surface sensible à une expérience qui entame un dialogue entre contenants et contenus. Ressorts de l’exposition, les oscillations dehors/dedans, fait/à faire, absent/présent, dit/tu, caché/apparent, rythment le parcours à l’intérieur de la structure architecturale pensée par Le Corbusier pour la maison Gratte-ciel. La membrane qui régit les échanges liés à ces mouvements apparemment contradictoires, si fine soit-elle, est notre présence de spectateur au sein du dispositif. un espace indicible ? nous propose une expérience des intervalles.
L’espace indicible pour Le Corbusier serait la propension au sein d’une architecture à ne pas pouvoir en exprimer la dimension harmonique, mais à la ressentir dans une indicibilité esthétique1. Il y a un jeu du sensible entre construire(élaborer) et éprouver le construit(habiter), à l’intérieur de cet intervalle se pose la question de l’exposition telle qu’elle est désignée par son titre : un espace indicible ?
Lorsque l’on arrive par la rue Le Corbusier, avant même de pénétrer dans la Maison Municipale Frugès, deux œuvres nous interpellent. Nous sommes déjà saisis par l’envie de nous engager plus avant dans le bâtiment et à la fois de rester encore là dehors pour observer le dialogue qui s’instaure entre les deux installations. À travers la baie vitrée du rez-de-chaussée, on perçoit la lumière blafarde des néons de Construire avec le(s) reste(s), qui de l’intérieur sous la maquette de la cité, nous invite à trouver un positionnement, à faire un choix lié à l’ambivalence sémantique des parenthèses. Puis, en prenant un peu de recul, Glissement apparaît derrière les fenêtres du deuxième étage. Les traits et les couleurs semblent déjouer nos attentes en matière de représention. Les lignes de perspective qui devraient nous donner à lire les prémisses d’un agencement intérieur de la chambre ne sont pas là. Il y a littéralement un glissement qui ne laisse en rien présager de ce qui se trame au-delà. Il y a ce désir, d’aller dans l’envers du décor, inaccessible depuis la rue, et qui ne sera jamais satisfait même une fois dans la chambre.
Comment habiter est un préambule à toutes les propositions plastiques que nous dévoile Guillaume Hillairet dans l’exposition – habiter : occuper habituellement un lieu.
Rentrons maintenant à l’intérieur de la maison Gratte-ciel. Depuis le mois de juin 2012, Guillaume Hillairet séjourne régulièrement dans la Cité Frugès, flânant dans les rues, croisant les habitants, discutant du projet d’exposition, disposant son bureau sur le toit-terrasse de la Maison Municiaple. Apparaissent alors les potentialités formelles que peut déclencher le principe de construction des sept types de maisons de la Cité. Le Corbusier utilisa ce qui à l’époque était le volume le plus simple et le plus grand disponible fait de poutres en béton : un cube de cinq mètres par cinq, et ce module divisé en deux. Qu’arriverait-il si ce jeu de construction se retrouvait entre les mains des enfants habitant la Cité Frugès aujourd’hui ? La vidéo Un principe d’adaptation témoigne de cette étrange expérience démiurgique, mais avant de la visionner dans le boudoir on atteint le haut des escaliers qui mènent au premier étage. Lorsque l’on pénètre dans la pièce à vivre, si singulièrement élaborer par Le Corbusier, que notre regard et notre corps sont contraints à un panoramique, accompagnant la ligne des fenêtres en arrière-plan, la présence du jeu de construction en bois au sol suscite un besoin presque irrépressible de jouer avec les cubes colorés, et de composer une autre partition. Un principe d’adaptation nous incite à penser/expérimenter l’agencement primitif de l’espace à partir d’éléments simples (cubes pleins et vides), car sans équivoque la spatialité appartient de manière essentielle à l’existence2.
Ce qui est indicible révèle et relève à n’en pas douter d’une situation élastique de la perception, comme le sens pourrait graviter autour de l’objet indéfiniment sans véritablement approcher une définition de celui-ci. Cette indicibilité est une appétence, une inquiétude au sens où Leibniz la décrit comme une multitude de petites sollicitations imperceptibles qui nous tiennent toujours en haleine, ce sont des déterminations confuses, en sorte que souvent nous ne savons pas ce qui nous manque3. Cette inquiétude, source de désir, naît des laps de temps qui émergent dans les dispositifs de Guillaume Hillairet. Ce qui se dessine ici par extension est l’attente, au sens propre comme au figuré. Ces instants qui nous posent là sont : ce que l’on sollicite de ces moments de confrontation avec les lieux et les formes qui nous font face. Avec Descriptif, cette sollicitation passe par des mots. Descriptif est une série de QRcodes, présentée sous la forme d’un livret dans le boudoir, qui nous engage dans un échange entre la représentation mentale d’un lieu et l’espace qui nous contient à ce moment précis de la lecture. Chacun est projeté dans un ailleurs qu’il façonne à l’aide de son imagination. Nous quittons la maison Gratte-ciel pour un extérieur fugace, réel ou non, à l’aune de l’image qui se dessine en nous à l’apparition des quatre-vingts bribes de texte.
Je me remémore en parcourant un espace indicible ? cette image qui montre Gordon Matta-Clark menant à bien Conical Intersect à Paris en 1975. Il scie une énorme poutre en bois, assis sur le rebord d’un plancher/plafond qu’il vient d’ouvrir, produisant une béance propre à nous faire basculer dans cet irréductible trouble qu’est la dissolution des limites, et à nous remettre au centre des choix à faire, de nous poser dans cet intervalle incertain qu’est l’acte d’habiter. J’ai la conviction que des actes formels permettent que s’immiscent en nous ces agréables inquiétudes.
Empruntons le second escalier qui conduit à l’étage des chambres, d’un espace ouvert à vivre collectivement nous nous dirigeons vers deux lieux clos liés à l’intimité. L’expérience se déplace, notre position se décale au fur et à mesure de la montée des marches. Une porte close à notre droite et une ouverte à gauche, en face une meurtrière qui nous laisse apercevoir le paysage environnant.
Il n’y a pas d’être-dans (le monde) sans une spatialisation existentielle comme nous l’a fait remarquer Peter Sloterdijk4 à propos de la pensée de Heidegger dans Être et Temps. Nous sommes toujours à l’intérieur de quelque chose qui lui-même est à l’intérieur d’autre chose, à côté d’autres éléments dont l’ensemble se trouve encore une fois contenu dans une forme englobante plus ample. Nous sommes continuellement dans un enchaînement de contenants, qui tour à tour et conjointement sont contenus et contiennent. Une fois la porte fermée poussée, Projection IV propose au spectateur d’être à l’intérieur de la grande chambre de la maison Gratte-Ciel, qu’il regarde dessinée depuis l’extérieur. Je suis dans la chambre et sa représentation me place à l’extérieur d’elle simultanément. L’obscurité de la pièce rend la découverte de ce processus lent et propre à l’adaptation de chacun aux conditions lumineuses. Notre place dans le dispositif se dévoile petit à petit.
Ces imbrications et cette nécessité de spatialisation me renvoient à l’œuvre Haus u r de Gregor Schneider, où l’artiste durant une quinzaine d’années a transformé sa maison, déplaçant pans de murs, portes, fenêtres, plafonds et même pièces entières tout en l’habitant. Mais aussi à Thomas5, assis lisant sur son lit, dans sa chambre, et qui se laisse envahir, polluer par la puissance des éléments extérieurs. Il tente de ne faire qu’un avec eux, de tisser les liens qui perceptuellement le relient au monde. Thomas se démène à en accompagner la structuration à l’intérieur de lui, il est les lieux qui forment le monde et il est les mots qui disent ce monde, il devient un être matière, et pure perception. Maurice Blanchot nous révèle l’intervalle qui existe entre être-au et être-dans le monde. Nous sommes tributaires d’innombrables intervalles, que nous lions et relions, subissons ou construisons pour nous mesurer à notre environnement. Michel Foucault nous l’énonce clairement lorsqu’il dit : je crois que l’inquiétude d’aujourd’hui concerne fondamentalement l’espace, sans doute beaucoup plus que le temps ; le temps n’apparaît probablement que comme l’un des jeux de distribution possibles entre les éléments qui se répartissent dans l’espace6.
Cette spatialisation s’exprime indéniablement, dans la structuration même de la maison Gratte-ciel pensée par Le Corbusier, par des échanges incessants entre l’intérieur et l’extérieur de la maison. La lumière entre et sort par les fenêtres panoramiques, comme pour venir suggérer, indiquer, révéler, discerner les mouvements que le corps adopte en s’y déplaçant. L’exposition nous permet d’explorer la maison en s’y référant de manière plus ou moins tacite. Le travail de Guillaume Hillairet trouve ici la part de dialogue nécessaire avec les lieux. Boîtes urbaines qui se trouve dans la petite chambre, nous met en situation de jeu entre ce qui est vu et caché, interne et externe et réactive par la même occasion cet état voyeur du regard, qui est un mouvement du public vers l’intime, à l’œuvre dans une chambre.
Chaque installation, vidéo ou photographie présentée pour l’exposition un espace indicible ? engage le spectateur dans des gestes implicites : se pencher pour regarder à travers un judas, se sentir mis à distance et happé dans la pénombre par la présence des lieux et leur représentation, jongler de l’esprit avec les parenthèses d’un énoncé programmatique, scanner des QRcodes et transformer des formes visuelles en mots qui évoquent un lieu hypothétique, réprimer l’envie de se saisir des cubes du jeu de construction pour réagencer l‘assemblage présent.
Le travail de Guillaume Hillairet semble nous dire qu’il y a une force à être dans l’intervalle, et une attente propre à notre présence dans ces intervalles qui modèlent nos inquiétudes. Peut-on réellement être-là, ici et maintenant ? Si la question se pose explicitement dans l’exposition un espace indicible ? elle reste néanmoins ontologiquement sans réponse. Reste alors des propositions formelles à expérimenter.
Notes
1 - Voir l’Architecture d’Aujourd’hui, hors-série, « Art », 1946.
2 - Peter Sloterdijk, Bulles (sphères I), Chap. IV, Digression 4, 1998.
3 - G.W. Leibniz, Nouveaux essais sur l’entendement humain, Livre II, Chap. XX, §. 6, 1705.
4 - Voir note 2.
5 - Maurice Blanchot, Thomas l’obscur, chap. IV, 1950.
6 - Michel Foucault, Des espaces autres (conférence au Cercle d’études architecturales, 14 mars 1967).
Comme une cynégétique à propos de l’exposition tracé(s) de Leila Sadel.
Les lieux et les objets n’ont pas la capacité à se souvenir, c’est à nous de les faire
supports de mémoire(s) et matières à fiction(s).
tracé(s) est un ensemble d’occurrences du travail mené en résidence Écritures de lumière à l’artothèque de Pessac par Leila Sadel durant une année. Parcours de l’espace urbain, blog, souvenirs, discussions, expositions et édition, on pourrait qualifier cette démarche d’éponyme, tant il s’agit pour l’artiste de suivre les modulations d’un rhizome temporel et géographique qui croît plus on le parcourt, et de nous en délivrer un tracé parmi la multitude.
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1 - Le monde est tout ce qui a lieu.
1.1 - Le monde est la totalité des faits, non des choses1
des volets verts jade entrebâillés derrière un grillage — de la peinture rose maculant une façade de ses coulures — la carrosserie marron d’une Renault cinq tutoyant le mur d’un jardin — un zèbre en plastique les quatre fers en l’air sur un toit de tôle ondulée — un caillebotis disproportionné posé sur le gazon devant un magnolia — deux marques blanches au sol délimitant un emplacement — quatre statues en conciliabule au milieu d’une décharge sauvage — un container métallique bleu posé au bord d’une prairie se reflétant dans l’eau d’un réservoir improvisé
Les images de tracé(s), qu’elles soient les dernières en date sur le blog, ou celles choisies pour l’édition, sont à première vue la représentation de lieux vides, habités d’objets colorés, épars, nombreux et très présents. Pourtant ce qui est photographié ici par Leila Sadel ce n’est pas ces lieux et ces objets, mais bien les gestes, les intentions volontaires ou non, les traces d’une activité humaine plurielle et multiforme. Autant de moments qui se révèlent être les supports d’un récit dont la matière est constituée par les éclats de mémoire convoqués lors de l’arpentage de la cité, et qui soulignent un regard acéré sur ce qui est déjà-là, présent. Autant de récits qui s’ébauchent et qui nous parlent de faits. De ceux qui ont eu lieu et de ceux qui pourraient avoir lieu, des récits qui créent chez nous un vagabondage de l’esprit à la recherche des liens signifiants de notre propre vécu. En disloquant la perception ordinaire, Leila Sadel donne accès à un ailleurs parfaitement maitrisé, nous incitant à une chasse aux détails, à l’indice : tracé(s) nous engage à être à l’affût de nos souvenirs.
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La langue a signifié sans malentendu possible que la mémoire n’est pas un instrument pour l’exploration du passé.2
on passe des portes — les grenades sont fendillées — on descend dans le jardin — un essaim d’abeilles — un personnage boite et se hisse sur un escabeau — une cage renferme deux perruches jaunes — on délimite et on disparaît — un puits de jours laisse pénétrer la pluie — il faut prendre son temps et se contorsionner — les souvenirs deviennent flous — des vendeurs de fruits ambulants — les images résistent sur la rétine
Dans une alternance erratique, les images côtoient des mots, bribes de textes, qu’on identifie à des épisodes d’une narration renvoyant à des souvenirs d’enfance. Ces mêmes souvenirs qui nourrissent également Brisures en 2010 à Rabat, ou l’installation Réminiscence en 2009 qui consistait pour l’artiste à remplacer par ses propres photos de familles celles des occupants de quatre appartements d’un immeuble parisien. Leila Sadel parcourt les rues de Pessac assemblant le scénario de souvenirs à fleur de peau toujours tenaces, dont le paysage entraine la résurgence ponctuelle et fantasmée, construisant ainsi une mémoire, donc une fiction. Cicéron dans la Rhétorique à Herennius nous rappelle comment la mémoire se travaille et de quoi elle est faite. L’espace urbain, varié de préférence, est le lieu où l’on place les images sur les choses, où l’on ordonne les souvenirs : la mémoire artificielle se compose d’emplacements et d’images. Cicéron nous dit comment la mémoire fait office de pure «invention» dans le présent. Pour Leila Sadel il s’agit de poser des marques de son passé sur le présent des choses, et de nouer une fiction née d’une archéologie de circonstances liant l’invisible au visible qu’elle nous propose de partager. Si l’ordre était fondamental pour conserver intacts les textes choisis dans sa mémoire, tracé(s) nous incite à déjouer les parcours trop bien balisés par une malléabilité des éléments (blog, édition, exposition / photographies, textes, dessins) pour que les fictions à chaque fois diffèrent, et empruntent des chemins qui ne doivent en aucun cas être les mêmes.
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Je considère l’homme comme un animal qui manie les choses, dont l’activité consiste à établir des liaisons et des séparations.3
bleu clair - la masse colorée est aquatique — gris - les traits enlacent une forme végétale — orange - les places du parking sont libres — vert - la pelouse est striée — rose - les persiennes délivrent un peu de la lumière — vert émeraude - le portail n’arrête pas le regard — jaune - les solives de la charpente s’ajustent plus ou moins bien — marron - le mur est légèrement disjoint — noir - la forme n’est pas parfaite — rouge - l’angle de la pièce — violet - la marque de construction est visible
Le dessin apparaît comme pour marquer un temps. Il est la pause dans la partition et au-delà des photos, des gestes, des soubressauts de la mémoire, il nous procure du temps. Plus rare encore que le texte il est le moment où les formes glanées, les liens signifiés revêtent la qualité indicielle propre au travail de Leila Sadel. Dans l’ancienne physiognomonie arabe, comme le rappelle Carlo Ginzburg dans Signes, traces, pistes, racines d’un paradigme de l’indice, il y a la firāsa qui permet la fulgurance d’une interprétation en passant du connu à l’inconnu par l’observation d’indices. Leila Sadel ralentie l’immédiateté de ce qui est montré, si sans nul doute elle développe chez nous cet instinct de la firāsa, elle ne nous en laisse pas moins perdu dans une myriade de signes en créant une temporalité disruptive, que le temps du dessin apaise régulièrement. Lorsque nos yeux tombent sur la série de dessins au crayon noir, représentant des arbres enveloppés pour l’hiver, les ligatures qui tendent les fines toiles autour des branches, que l’on devine nues, contraignent nos pensées à la lenteur d’observation. Tout comme la fausse abstraction des dessins en couleurs, qui elle nous guide vers la nature des tracés au feutre. Accumulation de traits et de touches guidés ou à main levée, le dessin n’est jamais en applats qui noieraient l’intérieur des formes et donc la potentialité d’autres figures.
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Il y a la part du hasard dans la déambulation, puis la reconnaissance du détail par laquelle la chose est, et qui nous rend présent à l’événement. Leila Sadel expérimente ce processus dans Pessac en marchant, et nous y invite en nous restituant une part de l’expérience dans l’édition, le blog ou l’exposition. Nous sommes lecteurs ou spectateurs entre des faits : nous avons devant nous d’innombrables instantanés, très proches les uns des autres, mais toujours séparés par un intervalle qu’elle nous enjoint à combler pour trouver une continuité illusoire et relative, comme Alix Cléo Roubaud décrivant ses photographies dans le dernier court métrage de Jean Eustache en 1980, Les photos d’Alix. tracé(s) est une astérochronie, en ce qu’il établit en tant que projet des connexions entre des événements hétérogènes dans l’espace et le temps. Alors que Leila Sadel marche dans Pessac, elle est amenée à partir en résidence à Essaouira en mars 2012, où elle produira une série de dessins : L’incertain. Cent dessins de traces rouges, gouttes de sang ou écriture de la fugue, comme des empreintes qui révèlent en nous les instincts du pisteur. Elle s’attache alors à mettre peut-être en évidence ce sentiment du chasseur ancestral obsédé par le détail, l’indice qui permettra sa survie. Le travail de Leila Sadel est une chasse perpétuelle à la circonstance et à l’instant, d’un territoire à un autre, soit qu’elle nous propose de chasser avec elle comme avec tracé(s), ou d’observer les trophées de sa chasse comme dans Histoires Sauvages en 2009, série de 35 images, détails volés aux affiches publicitaires dans le dédale du métro parisien.
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Il est bien évident que les traces ne comblent pas le manque de présence, et qu’il y a une douce violence de l’absence qui sourd de l’œuvre de Leila Sadel comme on peut la comprendre en lisant les étincelles textuelles que sont ses souvenirs, en regardant les images de tracé(s) ou en visionnant la vidéo Fragments en 2008. Le travail de Leila Sadel est loin d’être un jeu naïf, il est le vecteur d’une identité, celle d’un déracinement émotionnel qu’il s’agit de sublimer avec finesse pour nous l’offrir. Ici s’aperçoit un travail qui détermine avec force comment ne pas perdre ce qui construit le rapport que l’on entretient avec son passé.
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Il n’est pas nécessaire de chercher une quelconque véracité dans tracé(s), seuls les instants sont propres à être considérés comme vrais, fuyants et en aucun cas immuables, à l’image des cartes de l’édition qui sans numérotation s’agenceront au fil du temps de manière à révéler d’autres liens, loin du premier enchainement. Les seules liaisons qui resteront seront les recto/verso. Il n’y a pas d’analogies à trouver dans tracé(s) car cette notion reflète une relation trop parfaite entre mots et images. Il n’est nullement possible d’y trouver des coïncidences non plus, il n’y en a pas. tracé(s) nous amène à considérer qu’effectivement les fictions de la mémoire nous pensent et nous agissent davantage que nous le pensons ou agissons sur elles. Il y apparait simplement des agencements qui délient l’inextricable sensation que : où que l’on soit, il n’y a de nous que ce que l’on perçoit des faits du monde à ce moment précis.
Notes
1 - Ludwig Wittgenstein, Tractacus logico-philosophicus, éd. Gallimard, 1993.
2 - Walter Benjamin, Fouilles et souvenir, dans Images de pensées, éd. Christian Bourgois, 2011.
3 - Aby Warburg, notes inédites pour la conférence de Kreuzlingen sur «le rituel du serpent» (1923), dans Aby Warburg et l’image en mouvement, Philippe-Alain Michaud, éd. Macula, 2000.
Utopos dialogue avec Guillaume Hillairet à propos de l'exposition Utopos.
Franz Kreysler : Quand tu m’as parlé du projet de l’exposition Utopos, et que le titre a résonné dans ma tête, sans d’ailleurs que je sache vraiment de quoi il s’agissait (entre «utopie» au sens contemporain et «lieux»), Utopos me paraissait être un terme incongru, presque indéfini. J’étais incertain à propos des valeurs et du sens qu’il portait. Peux-tu me donner les raisons de ce choix ?
Guillaume Hillairet : Les lieux sont depuis de nombreuses années un facteur essentiel des formes visuelles et narratives que je travaille. J’envisage chacun de mes projets dans un sens géographique élargi qui englobe aussi bien un espace, un endroit, une pensée, une action. En rassemblant les différents projets qui allaient être présents dans l’exposition, ceux en cours et ceux existants, petit à petit il m’apparaissait qu’un parcours se dessinait. Les propositions entre elles m’amenaient vers cette idée que si on peut factuellement discerner des espaces et des lieux, aucun de ceux-ci ne doivent être fixes, tangibles. Ils doivent être en mouvement, donc des non-lieux à mon sens. Néanmoins, un parcours implique qu’il y ait un espace physique et un espace de réflexion. La juxtaposition et/ou l’imbrication que je voulais donner à ces deux espaces forment l’Utopos tel que je l’entends pour cette exposition. Utopos est un néologisme, dont l’origine se trouve dans L’Utopie de Thomas More, et qui pourrait signifier le lieu qui n’est nulle part.
FK : Le terme en lui-même est un espace linguistique de l’ordre de l’invention, est-ce quelque chose qui t’intéressait dans ce choix ?
GH : Loin de l’idée de la république idéale, comme l’île d’Utopie de Thomas More, l’utopos est pour moi plutôt un creuset formel et de pensée, dans lequel toute création ou idée peut naître, évoluer, et se signifier en tant que moment, donc rencontre. Dans mon processus de mise en forme, il est plus un moment qu’un lieu stricto sensu, même si dans l’exposition il y a une conjoncture des deux qui devient force de proposition formelle plastique. L’idée d’invention me plaît particulièrement, j’essaie d’inventer des points de liaison qui parlent des lieux, et de nous à l’intérieur de ces lieux.
FK : Les pièces de l’exposition nous renvoient souvent à des lieux indéterminés. On pourrait être aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur, de nuit comme de jour, seul ou accompagné, il pourrait s’agir de lieux où l’on passe et d’autres où l’on pourrait se perdre, sans qu’il n’y ait une définition perceptuelle exacte de l’endroit où nous nous trouvons à un moment précis, si ce n’est dans l’exposition…
GH : Nous sommes récepteurs d’images dans un contexte qui génère du lien, de l’interrogation. Et je trouve intéressants ces rapports inclusifs et à la fois exclusifs, dans un balancement, quand la déambulation nous mène finalement dans un cul-de-sac et que l’on soit obligé de revenir sur ses pas, de refaire le chemin en sens inverse, ouvrant la voie à de nouvelles connexions.
FK : De nombreuses pièces de l’exposition sont reliées par une idée forte qui est une ambivalence entre un état construit, agencé, sa représentation, et la sensation qu’il y a un état sensible et instable qui fait glisser notre perception vers le sentiment que quelque chose est à l’œuvre, qu’un travail s’opère.
GH : Le moment où l’on prend conscience qu’il y a quelque chose à l’œuvre, où l’on perçoit un événement alors qu’on pourrait simplement ne pas le saisir, est la part de dialogue que j’aime entretenir avec le spectateur : dans la vidéo Disparition(s) III par exemple, le moment où le spectateur s’aperçoit que le mobilier et les objets de la pièce disparaissent, alors qu’il pensait être devant une image fixe, ou dans Vanishing Point quand il s’aperçoit qu’un personnage apparaît subrepticement comme une forme fantomatique. Ce sont des moments qui modifient chez la personne présente les perceptions qu’elle avait des images regardées quelques secondes auparavant. J’ai présent à l’esprit le moment où Jeffrey Beaumont, dans Blue Velvet de David Lynch, découvre une oreille humaine dans l’herbe d’une friche en rentrant chez lui. À ce moment, il y a un basculement : Lumberton petite ville tranquille devient un autre lieu, ce qui déclenche un tout autre rapport aux personnages et à leur environnement.
FK : Tu as un rapport aux lieux, aux espaces, qui est singulier, dont l’exposition Utopos nous donne quelques clefs. Peux-tu nous dire où se trouvent les racines, les moments et les lieux qui t’ont donné à envisager de construire ton travail de cette manière ?
GH : Je me souviens avoir passé de nombreuses heures, seul, lorsque que j’étais enfant et adolescent, à arpenter les couloirs, les salles de classe, du très grand lycée dans lequel ma famille et moi occupions un logement de fonction durant des années. Bien sûr, je parcourais l’établissement en tant qu’élève, mais plus particulièrement à des moments où les lieux vidés de leurs activités, immenses et silencieux, souvent le soir, et même la nuit, me laissaient envisager qu’il y avait une autre manière de les parcourir, d’y attendre, d’y réfléchir et d’y agir. Ces expériences m’ont certainement aidé à comprendre qu’au-delà de la fonctionnalité des lieux, les moments et le temps par lesquels je me les appropriais y étaient pour beaucoup dans la construction que je m’en faisais en dehors de leurs limites physiques. Je crois qu’un lieu est avant tout une question de temps. Au début de l’entretien, tu avais formulé ta question en employant le terme «accointance» plutôt que «rapport», je trouve ce terme plus juste peut-être dans son étymologie qui parle de faire connaissance et de se lier, en l’occurrence avec les lieux.
FK : Quand tu définis le lieu comme une unité temporelle, ne te semble-t-il pas que c’est justement la possibilité pour le spectateur d’avoir une entrée dans ton travail ?
GH : L’immédiateté est fascinante, mais trop prégnante pour être juste ou vraie, elle est un instant ; à mon sens il n’y a que le temps qui construit les espaces, et c’est la durée qui m’intéresse en premier lieu dans mes propositions. Je préfère l’impermanence à l’immédiateté. C’est dans la durée d’observation que je propose de saisir les glissements qui s’opèrent. Il y a deux œuvres qui m’ont marqué, et qui ont cristallisé ce background perceptif lié aux espaces qui m’est essentiel : Inasmuch as it is always already taking place de Gary Hill et Totes haus ur de Gregor Schneider, deux œuvres que j’ai vues à peu de temps d’intervalle et qui sont pour moi très proches l’une de l’autre dans leurs propos. Elles disent ce même questionnement sur les rapports complexes entre un corps et son appartenance à un espace singulier, social pour Schneider, et philosophique (philologique) pour Hill. Entre perte et construction, langage et praxis les deux pièces plongent le spectateur dans cette impermanence. C’est-à-dire dans l’acceptation d’un ici et maintenant volatil, angoissant par moment, et qui au final nous positionne avec une injonction à penser, à se penser.
FK : Pour Lat 44°56’ 44.55’’ Long 0°37’ 14.76’’ tu as choisi de conserver la salle qui accueille l’installation dans l’état où elle se trouvait le jour du montage de l’exposition. Pourquoi ce choix alors que les autres pièces sont présentées de manière plus classique ?
GH : Lat 44°56’ 44.55’’ Long 0°37’ 14.76’’ s’inscrit dans le lieu tel qu’il est, tel que l’a transformé l’activité qui s’y est déroulée durant les mois précédant l’exposition. La pièce, une projection de 80 diapositives, vient s’insérer dans le tissu des éléments mobiliers de la salle plongée dans une semi-pénombre. Cet espace dédié au rangement, à l’accumulation reste une partie d’À Suivre... qui se modifie au fur et à mesure de son utilisation : stockage, projections vidéo, ou lieu de passage qu’il redevient entre les deux parties de l’exposition. La série de diapositives est en elle-même une suite d’images que l’on comprend vite être altérées par un processus de dégradation dont on ne connaît pas l’origine. Ce processus laisse entrevoir des bribes d’éléments narratifs qui permettent de saisir à la volée que ces images sont liées à la fois par le contenu qui en disparaît, mais aussi par le titre de la pièce qui les situe géographiquement. La projection vient ouvrir une fenêtre. Le rapport formel entre la dégradation des images et l’état de la salle fonctionne dans une compensation narrative et une interaction, entre accumulations et disparitions.
FK : Juste après, on pénètre dans un corridor, où un grand texte blanc sur fond noir [ souviens-toi que tu n’es pas là ] vient comme une injonction remettre en cause tout ce que l’on vient de voir. Le texte interroge, interpelle le spectateur d’une manière assez violente puisqu’il mesure environ quatre mètres de long sur un mètre de hauteur. Il est pour moi, à ce moment, comme un contrepoint de la citation de Wittgenstein dans la pièce Accession.
GH : Oui, d’un côté les choses n’existent que parce que tu les regardes supposément, et par la suite tu es pressé de saisir que c’est toi qui n’es pas présent, ou tout du moins pas en permanence. C’est cette incertitude qui me plaît dans l’idée de non-lieu. C’est la certitude ou l’incertitude de la femme jouée par Delphine Seyrig dans L’Année dernière à Marienbad d’Alain Resnais. Je retrouve ce sentiment également chez le lecteur qui suit Faustine apparaissant aux yeux de Louis, inlassablement, dans L’Invention de Morel d’Adolpho Bioy Casares. Ce sont des espaces qui se construisent parce que nous sommes là vivants, actifs, et réactifs. Mais pour revenir à ta question, oui, c’est une sorte de contrepoint entre les deux pièces qui amène je suppose à repenser sa place, et comment ce qui nous entoure forme notre présence/existence ou pas. Ce qui mène, dans le cheminement de l’exposition, à la salle qui accueille l’installation Construire avec le(s) reste(s). Réalisé en néons, le texte-titre de la pièce posée au sol est au milieu d’un ensemble de néons qui ne fonctionnent plus (certains sont brisés), excepté deux d’entre-eux qui, allumés, viennent souligner l’architecture de la salle. J’aime cette ambivalence sémantique des parenthèses qui forcément va vers le spectateur. Les parenthèses sont comme un geste vers lui.
FK : C’est un geste qui veut rendre attentif le spectateur finalement, et j’y vois là la question de l’attention qui est au cœur de deux de tes vidéos Vanishing point et Livid rooms bedroom.
GH : Livid rooms bedroom, réalisée avec des images collectées sur internet, montre bien comment cette impermanence des choses, c’est-à-dire le mouvement, que je souhaite activer, peut tout simplement surgir d’images fixes diffusées très rapidement à 25 images différentes par seconde (fréquence des images d’une vidéo). Chacun va matérialiser un espace, ici une chambre, à partir de l’ensemble des images qui s’enchaînent. La persistance rétinienne de chacun travaille à construire cette chambre, mais également à la déconstruire, et reconstruire. Au final, la question se pose de savoir s’il y a une forme visible existante de cette chambre. Livid rooms bedroom requiert une attention du spectateur qui est totalement différente de celle demandée pour Vanishing point. Les « événements » qui se déroulent dans Vanishing point prennent place dans un lieu, qu’on suppose être un bâtiment en construction, mais qui pourrait être une ruine. Les plans fixes se succèdent dans les pièces du bâtiment, au rythme d’une sorte de bourdonnement. Rien ne bouge en apparence. Pourtant, de petits faits se révèlent au spectateur très attentif et construisent une narration de l’appropriation de cet espace par un personnage.
FK : Avec ses deux vidéos, tu joues pour moi avec la résistance physique du spectateur. Rester assez longtemps pour apercevoir les événements ou bien réussir à supporter les effets stroboscopiques d’une vidéo qui défile à 25 images différentes à la seconde. Dans les deux cas, l’image reste unique, et se construit pour chacun en résistance à ces contraintes physiques.
GH : Le spectateur ne peut être en aucun cas passif, même s’il n’interagit absolument pas avec ce qui se déroule devant lui dans les vidéos. Il n’est pas question d’interactivité mais d’activité devant mes pièces.
FK : Revenons au début du parcours. Accession se trouve être la première pièce que l’ont voit dans l’exposition. Autant l’ensemble des pièces de l’exposition nous laisse libres de nos mouvements, autant Accession, qui parle d’accéder à quelque chose, nous enferme physiquement, sur le plan auditif également, nous pousse hors du lieu de l’exposition.
GH : Accession est un couloir en cartons empilés d’environ trois mètres de haut. On y pénètre et, au fond, on trouve un casque par lequel une bande-son est proposée à l’écoute. La bande sonore nous transporte dans un autre environnement, plutôt liquide et mouvant, et par moment au milieu du flux, on entend un extrait de De la certitude de Ludwig Wittgenstein, la note : 214 – Qu’est-ce qui m’empêche de supposer que cette table, hors la vue de quiconque, ou disparaît ou se modifie quant à sa forme et sa couleur et qu’elle revient à son état ancien dès qu’on la regarde à nouveau ? — « mais qui ira bien supposer quelque chose de ce genre ? », serait-on disposé à dire. S’ouvrent alors des perspectives de réflexion sur ce que je montre dans l’exposition, mais aussi sur comment construire les espaces de vie qui nous entourent. C’est une invitation à reconsidérer notre environnement immédiat. La note de Wittgenstein est une manière pour moi de concrétiser nos déplacements, de les rendre tangibles et efficients. Simplement, si je suis là à un moment donné, j’agis à la fois là où je me trouve, mais également potentiellement là où je ne suis pas. Les vidéos Immobiles qui se trouvent derrière Accession, parlent clairement de cette volonté d’agir qui est souvent contrariée.
FK : Quand on prend les escaliers pour arriver à l’étage, on passe par la plate-forme, où deux étranges sculptures se font face, en s’en approchant on comprend qu’il y a un dispositif, et qu’il ne s’agit pas que de volumes simples.
GH : Ces deux objets, nommés Boîtes urbaines, légèrement flottants sur leurs socles métalliques dont il ne reste plus que les arrêtes peintes en noir, sont des boîtes constituées de deux calages en papier maché que l’on trouve dans les cartons d’emballages d’appareils ou d’objets. Ce sont les deux calages opposés qui enserrent un même objet dans son carton, joints par des élastiques, formant ainsi un espace clos. Cet espace clos, je propose au spectateur d’y pénétrer par le regard à travers un judas. L’inversion du rôle du judas qui ici donne accès visuellement à l’intérieur, contrairement à son utilisation habituelle, est le processus de basculement qui m’intéresse puisque le rapport à l’espace intime/privé et visible/public s’inverse. Au lieu d’enfermer le regard dans la boîte, l’action de se pencher pour voir à travers le judas crée une ouverture dans une sorte d’environnement circonscrit dont on a du mal à définir la taille.
FK : Sur la mezzanine on découvre Blur Breaches, Ouverture, et Parcelles. Ces images, Polaroïds, photocopies et dessins, nous projettent dans des univers formels très différents les uns des autres, mais qui parlent encore une fois de lieux, d’espaces singuliers qui pourraient nous absorber, que l’on pourrait tout aussi bien agencer à notre guise. Le vide au sol de la mezzanine laisse une liberté de circulation et de mouvement face aux images, et contraste fortement avec le plein de la salle du dessous où l’on doit aller chercher les images dans l’installation Lat 44°56’ 44.55’’ Long 0°37’ 14.76’’.
GH : Il en reste de toute manière une volonté pour moi de proposer au public des expériences du sensible liées à des expériences de pensée. C’est dans cet écart, dans la perte ou l’accentuation du moment où l’œuvre est montrée, que se jouent de manière souvent ténue, même imperceptible, les liens que j’engage avec le spectateur. Il s’agit de mobiliser chez lui l’attention, la concentration, la réflexion, mais également l’intuition.
Dialogue réalisé durant la préparation de l’exposition Utopos au Lieu d’art À Suivre... à Bordeaux en mai 2010.
2010Utopos dialogue avec Guillaume Hillairet à propos de l'exposition Utopos. Translation Rachel Foister
Franz Kreysler : When you spoke to me of the Utopos exhibition project, the title resonated in my mind, without having really known what it was about (between ‘utopia’ in the contemporary sense and ‘places’), utopos appeared to me as an incongruous term, almost indefinable. I was uncertain of its values and meanings. Can you give me the reasons for this choice?
Guillaume Hillairet : Places have for many years been the essential factor in the visual and narratives forms in which I work. I visualise each of my projects in a geographically expanded way, which also includes space, location, thought, and action. In bringing together the different projects which will be shown at the exhibition, those in progress and those already completed, piece by piece, it appeared to me that a path was being mapped out. The suggestions between them brought me to the idea that one can factually discern spaces and locations, they must not be fixed or made tangible. They must be in motion, therefore none-spaces to my mind. Nevertheless a pathway implies that there is a physical space and a place for reflection. The juxtaposition and/or overlapping that I wish to give to these spaces forms the Utopos as I understand it for this exhibition. Utopos is a neologism, the origin being found in Sir Thomas More’s Utopia and which can signify a non-existent place.
FK : The term in itself is a linguistic place found within the realms of invention, what was it that interested you in this choice.
GH : Far from the idea of an ideal republic as in Sir Thomas More’s island of Utopia, utopos represents for me a melting pot of forms and thoughts in which all creations and ideas can be born, evolve and materialise as moments, and thus encounters. In my processes of creation, it is strictly speaking, more a moment, than a place, even though in the exhibition there is a conjunction of the two, which becomes a suggestive force in creating the forms. The idea of invention particularly pleases me, I try to invent linking moments that speak of places and of us inside these places.
FK : The pieces in the exhibition often return us to indeterminate places. One can be as much inside as outside, night or day, alone or accompanied, they can behave as places one passes or others where one can become lost, without there having been an exact perceptual definition of the area where one finds oneself except at that precise moment in the exhibition.
GH : We are receivers of images in a context that generates links, questions. And I am interested by these connections that are inclusive and at the same time exclusive, an oscillating motion, when our wanderings finally take us down a cul de sac and we are obliged to retrace our steps, traverse the path in reverse and open our route to new connections.
FK : A number of pieces in the exhibition are linked by a strong idea of ambivalence between a constructed state, organised, its representation, and the sensation that there is a sensitive and unstable state which shifts our perception towards the feeling that something is happening, something is at work.
GH : The moment when you become aware that there is something at work, or when you perceive something happening that you simply cannot grasp; this is the part of the dialogue that I like to foster with the spectator. In the video Disparition(s) III (Disappearance(s) III) for example, the moment when the spectator perceives that the furniture and the objects in the piece are disappearing, when they had thought that they were in front of a fixed image, or in Vanishing Point, when it becomes apparent that a person is furtively appearing like a ghostly image. These are the moments which alter for each person present the perceptions that they had of the images seen several seconds before. I have in mind the moment when Jeffrey Beaumont, in Blue Velvet by David Lynch, discovers a human ear in the grass on some waste ground when returning home. At that moment there was a lurch: the quiet small town of Lumberton became another place, something which ignited a whole other interaction between the people and their environment.
FK : You have an interaction with places, with spaces, which is uncommon, of which the exhibition Utopos gives us several clues. Can you tell us where this finds its roots, the moments or the places which caused you to consider constructing your work in this way?
GH : I remember having passed many hours, alone, during childhood and adolescence, pacing up and down corridors and the classrooms of a large high school, where my family and I occupied lodgings for many years. Of course, I went about the building as a student there, but notably when the spaces were empty of activity, huge and silent, often in the evenings, or even the night, I allowed myself to envisage that there was another way of moving, waiting, reflecting and acting within them. These experiences certainly helped me to understand that in addition to the functionality of places, the moments and the times during which I appropriated them were often of a construction that I made outside of their physical limits. I believe that a place is before anything, a moment in time. At the beginning of the discussion you formulated your question using the term ‘contact’ rather than ‘ interraction’, and I find this word more valid, perhaps because of its etymology, which, in this example of places, speaks of familiarising and linking.
FK : When you define a place as a temporal unit, doesn’t it seem that its simply the possibility for the spectator to have a doorway into your work?
GH : Immediacy is fascinating, but too pregnant with possibilities for it to be fair or true, it is just a moment; to my way of thinking it is only time which makes spaces, and it is the duration that interests me first in my approach. I prefer impermanence to immediacy. It is in the duration of observation that I aim to catch shifts that take place. There are two works that have greatly influenced me and which crystalised the perceptive background tied up with spaces which for me is essential: Inasmuch as it is always already taking place by Gary Hill and Totes haus ur by Gregor Schneider, two works with which I became familiar with on two separate occasions albeit a similar time and which for me are comparable in their intentions. They speak of the same questioning of complex connections between a body and its belonging to a singular space, social for Schneider, and philosophical (philological) for Hill. Between loss and construction, language and praxis, the two pieces plunge the viewer into a sensation of impermanence. That is to accept a volatile here and now, at times anxious, and at the end presenting us with a summons to think, to think of our own human representation.
FK : Lat 44°56’ 44.55’’ Long 0°37’ 14.76'' you chose to keep the installation’s room in the state in which it was found on the day the exhibition was set up. Why this choice, when the others pieces were presented in a more classical manner?
GH : Lat 44°56’ 44.55’’ Long 0°37’ 14.76'' is inscribed in the place that it occupies, in so much as its transformation of the activities that took place during the months running up to the exhibition. The work, a projection of 80 slides, inserts itself in the fabric of the furnishings of the room which is plunged into half darkness. This space dedicated to order, to storage, remains a piece of À Suivre.... which is modified as one goes along with its usage: storage, video projections, or corridor between the two parts of the exhibition. The series of slides are themselves a suite of images that one quickly understands have been altered by a process of degradation in such a way that one cannot discern their origins. With this process one can catch a glimpse of snatches of the narrative elements which allows one to grasp that the images are linked in one sense by their disappearing content, but also by the title of the piece which situates them geographically. The projection opens a window. The formal dialogue between the degradation of the images and the condition of the room functions as an offsetting narrative and an interaction, between accumulation and disappearance.
FK : Just after, we enter a corridor, where a large white text on a black background, Remember that you are not here, appears as an injunction to challenge everything that we are going to see. The text interrogates, questions the viewer in quite a violent way, measuring as it does, four metres long and one metre high. It is for me, at this time, a counterpoint to the quote by Wittgenstein in the piece Accession.
GH : Yes in a way, things only exist as you suppose you see them, and as a result you are pressed to understand that it is yourself who is not present, or at least not permanently. It is this incertitude within the idea of non-location which pleases me. It is the certainty or uncertainty of the woman played by Delphine Seyrig in Last Year at Marienbad by Alain Resnais. I found a similar sentiment expressed by the reader who followed Faustine, appearing in the eyes of Louis, unremittingly, in The Invention of Morel by Adolpho Bioy Casares. These are spaces that are constructed because we are present, alive, acting and reacting. But to return to your question, yes its a sort of counterpoint between the two spaces which brings us, I suppose, to rethink our place, and how what surrounds us forms our presence/existence or not. Leading, progressively through the exhibition, to the room containing the installation Construire avec le(s) reste(s). Created with neons, the title-text of the piece is placed on the floor in the middle of a grouping of neons which no longer function (some are broken), excepting two amongst them, which, when alight, outline the architecture of the room. I love the semantic ambivalence of brackets which naturally lean towards the spectator. Brackets are like a gesture towards him.
FK : Its a gesture that wishes to finally capture the attention of the viewer, and I saw the question of attention which is at the heart of two of your videos Vanishing Point and Livid rooms Bedroom.
GH : Livid rooms Bedroom, made with images collected from the internet, shows clearly how this impermanence of things, that is to say, movement, that I wish to activate, can quite simply pop up from fixed images broadcast very rapidly at 25 images per second (the frequency of video images). A space materialises for each individual viewer, in this case a room, from the group of images linked together. The retinal persistence of each viewer works to construct this room, but equally to deconstruct and reconstruct it. At the end, the question remains, is there an existing visible form of this room? Livid rooms Bedroom, requires the attention of the viewer in a totally different fashion to that required for Vanishing point. The ‘events’ which occur in Vanishing point take place in a location, that one supposes to be a building under construction, but which could be a ruin. Static shots follow one another through the rooms of the building, to the rhythm of a kind of droning sound. Nothing seems to move. And yet, small facts become revealed to the more attentive viewer, making a narration of appropriation of the space by each ghostly apparition in the video.
FK : With these two videos, I find you play with the physical resistance of the viewer. Staying long enough to perceive events or to be able to endure the stroboscopic effects of a video moving at 25 different images per second. In both cases, the image is unique, and is constructed by each viewer in resistance with their physical constraints.
GH : The viewer can never be passive, even if he has absolutely no interaction whatsoever with what is taking place in front of him in the videos. It is not a question of interactivity, but of activity directly in front of my works.
FK : Returning to the beginning of the route. Accession is found to be the first work one encounters in the exhibition. As much as the entirety of the works in the exhibition leave us free to move, Accession, which talks of accessing something, physically encloses us, even at the auditory level, pushing us symbolically out of the exhibition space.
GH : Accession is a corridor of boxes piled up to around three meters in height. One enters and, at the end, one finds a set of headphones through which a soundtrack is broadcast. The soundtrack transports us to another environment, more liquid and unstable, and for a moment, in the middle of the flow, one hears an extract of On Certainty by Ludwig Wittgenstein, the note 214: What prevents me from supposing that this table either vanishes or alters its shape and colour when on one is observing it, and then when someone looks at it again changes back to its old condition? – «But who is going to suppose such a thing?» – one would feel like saying. Perspectives of reflexion open up over what I have shown in the exhibition, but also on the construction of the life spaces that surround us. Its an invitation to reconsider our immediate environment. The note by Wittgenstein is a method for me to give concrete expression to our movements, to make them tangible and efficient. Simply put, if I am somewhere at a given moment, I act at the same time where I find myself, but equally potentially where I am not. The videos Immobiles (Motionless) which are located just behind Accession, speak clearly of this desire to act, which is often frustrating.
FK : When taking the stairs to reach the next floor, one passes a platform where one is faced with two strange sculptures, on which, on approaching one realises there are sculptural forms, encompassing more than simply volumes in space.
GH : These two objects, named Boîtes urbaines (Urban boxes), floated lightly on their metal pedestals in such a way that there remains no more than their edges visible painted in black, are boxes made up of two papier maché crates such as one finds in the packaging for appliances or objects. There are two complementary crates, which support an object within its packaging, fastened together with elastic bands and thus forming an enclosed space. I propose to the viewer to penetrate this space by looking through a peephole. The inversion of the role of a peephole, which here gives visual access to an interior, contrary to its habitual usage, shows the process of oscillation which interests me, when the rapport between intimate/private space and that which is visible/public is inverted. Instead, closing the view within the box, the action of bending down to see through the peephole makes an opening into a kind of contained environment where it is hard to define relative size.
FK : On the mezzanine one finds Blur Breaches, Ouverture (Gap), and Parcelles (Plots). These images, Polaroids, photocopies and drawings, project us into a world represented by forms, each very different from the other, but speaking once again of places, singular spaces which absorb the viewer, which we can as good as put together in our own fashion. The empty floor area of the mezzanine allows a freedom of circulation and movement before the images, and contrasts strongly with the congestion of the room beneath where one has to find the images in the installation Lat 44°56’ 44.55’’ Long 0°37’ 14.76’’.
GH : There is in all ways a desire for me to show to the public sensitive experiences linked to the experiences of thought. It is in this gap found between the loss of or accentuation of the moment when the work is shown, which play in a manner often performed, even tenuously, with links through which I engage the viewer. It serves to summon attention, concentration, reflection, but equally intuition.
Conversation recorded during preparations for the exhibition Utopos at À Suivre... lieu d’art, may 2010.
Tout ce que l'on fait est sur fond de silence à propos de l'exposition Tout ce que l'on fait est sur fond de silence de Leila Sadel.
La lecture et le parcours, le délai et l’assemblage, la parole et la posture, me donnent le sentiment que le travail de Leila Sadel est une itération de gestes, de regards et de mots. S’ils ne s’entrechoquent pas à leurs surgissements, ils glissent les uns avec les autres, et furètent comme des particules élémentaires qu’elle capture à l’aide d’un filet à papillons afin d’en faire sens et images.
Épinglés aux murs, des instants dialoguent entre eux : choses quotidiennes, rencontres fortuites, mots ajustant nos perceptions, ce que j’en comprends, ce qui nous regarde. Au tranchant des mots de Sei Shonagon, telles les notes du Koto qui s’égrainent, répondent les images proches d’une déréliction des rues de Rabat, et le pas mal assuré du personnage d’Entre-temps, j’étais ailleurs à la voix mélancolique d’Abdel Halim Hafez.
On s’imagine aisément à tour de rôle chasseur et papillon, à la fois capteur des intentions narratives et/ou élément adéquat à la poursuite de l’histoire qui se propage sous nos yeux. À pas feutrés le silence sert de trame au drame, car il est question d’un intime lien ténu, sensible et prêt à se rompre. Nous sommes sur le fil qu’a tendu Leila Sadel, si tout ce qu’elle fait est sur fond de silence, tout ce qu’elle montre est bruissement, battements d’ailes, où le nombre et l’énumération tiennent lieu de respiration. On perçoit, venant d’une arrière salle, le son des ciseaux qui découpent inlassablement entre les lignes les mots connus et inconnus de cette langue arabe qu’elle réapprivoise par ces gestes méticuleux.
Leila Sadel nous renvoie à notre présence perturbatrice et féconde à la fois. Le vol du papillon, saccadé, furtif, imprévisible, coloré, autorise son chasseur à de subtils actes pour une capture hasardeuse, mais qui se doit délicate afin d’en préserver toutes les nuances. Leila Sadel nous propose une promenade où Tout ce que l’on fait est sur fond de silence.
Le corps est fiction, le corps est dans la fiction à propos du travail de Leila Sadel.
Être immobile, agir, dans cet entre deux se situe une vision particulière de nos désirs, de notre capacité à être au monde. Ici, il sera question de chair, de corps, de donner les moyens à celui-ci d’être pétri par le réel. Alors il y a, à cet instant précis où l’on voit, la solution de la fiction. Le travail de Leila Sadel est une longue narration, une série d’épisodes.
Épisode 01 : le corps
À la fois être le corps et s’en dissocier, sans qu’un mouvement schizophrénique ne viennent déjouer les intentions, parce qu’effectivement il s’agit d’un jeu, qui passe d’abord par le regard. Quand le personnage féminin de Sans titre(2006), attend assise, et nous regarde interroger cet autre elle-même qui dans un élan nécessaire tente de se fondre à son environnement, ici le lavabo de sa salle de bain, le dispositif nous questionne nous regardeur sur la place que nous avons. Elle nous prend à part, si tu veux être là présent, alors agit, pense avec moi, écrit avec moi, joue le jeu. Le dispositif alors déjoue notre propension à s’assimiler au personnage, à finalement rentrer dans le scénario, et crée un mouvement de tension. Entre ou n’entre pas dans la fiction qui se propose à toi, mais quoi qu’il en soit, tu en es le témoin, tu ne peux échapper à ta condition de voyeur. Et dans un second mouvement elle s’interroge sur sa propre place au sein de ce dispositif, dans une deuxième temporalité, et se pose la question de la nécessité de l’agir, et de la vacuité de l’action, avec une ironie toute à propos.
Les vidéos de Leila Sadel ne sont jamais comme on pourrait les percevoir au premier abord, une litanie sur son propre devenir, mais bien souvent une interrogation à être avec elle, à l’accompagner dans cette corporéité. Comme dans Sans titre(2005), où le décompte nous donne la clef de l’action. 60 secondes sont énoncées par le personnage qui, accroupi la tête sur les genoux persiste à vouloir rester en équilibre sur la pointe des pieds. 1 2 3 4… les secondes s’égrainent, et déterminent la possibilité d’un accompagnement, d’une synchronisation avec la tension du corps en équilibre. Il est alors question d’une variation sur la chute, plus les chiffres augmentent, plus la respiration se fait difficile. Plus le chiffre est élevé moins on a de chance de sombrer, mais plus on a de mal à respirer, c’est un écartèlement qui maintient l’équilibre. Outre la nudité qui ici interroge notre présence au monde et aux éléments, l’énumération orale nous fait basculer dans l’acte social. Compter est un acte purement social, il est un acte fort de validation de notre environnement psychosocial, de nos capacités à jongler avec le quotidien, à épuiser notre sens logique, fort de nous permettre de rester en équilibre avec les tiraillements extérieurs, et de nous préserver d’une trop forte altérité. Comme une carapace, ce à quoi nous renvois la position du corps dans cette vidéo, ramassé sur lui-même pour ne laisser finalement que peu de prises à ce qui viendrait de l’extérieur. Leila Sadel nous interroge ici et maintenant, sur la posture physique et sociale du corps. Quelle implication puis-je avoir en dehors de juste me maintenir en équilibre ?
Épisode 02 : Le théâtre des opérations
Deux petits soldats allongés, à première vue ils sont blessés ou morts, ou bien laissés pour mort sur le champ de bataille. Un champ de bataille insolite presque incongru, puisque fait de chair humaine, molle, assoupit ou peut-être morte, abandonnée. La scène se déroule dans un bâtiment, aperçu en arrière plan en contre-plongée, écrasant ainsi l’action. Qu’est-ce qui est mis en scène dans cette série de photographies, intitulée Bodyground ? Ce que j’appellerais le théâtre des opérations pour Leila Sadel, est la somme des interrogations, formelles et linguistiques propre à la confrontation du corps avec son environnement au sens large : physique (urbain, intime), social (communauté, famille), psychologique (idées, positionnement). Étrange également, ce rapport à la guerre, lieu de toutes les déformations corporelles, du camouflage à l’amputation, de la perte de mémoire à la folie. Le conflit est le lieu de tous les enjeux. La série de photographies montre différentes opérations militaires, offensives, déploiements, retraites, etc. Ce qui est étrange de surcroît, est le déploiement de ce terrain de chair humaine, comme circonvolution à de nombreuses opérations, qui ne seraient plus d’ordre militaire celles-ci, mais bien de l’ordre d’un questionnement sur sa place[la chair] dans le théâtre des opérations. À la fois se joue un combat de petits soldats, agitation surannée de l’activité humaine, un combat de la chair et du béton, recherche forcenée à se déployer dans l’espace, et l’ensemble dans un combat d’échelle et de forme propre à des interrogations de l’ordre de la pertinence de l’action dans le champ social et/ou artistique.
Être là par hasard, est une des questions que me pose le travail de Leila Sadel, comme la question du passage, rituel ou non. Les regards des deux personnages de Tomber, installation vidéo ou leur mise en scène ne laisse plus de doute sur la fiction qui est sur le point de se jouer, me disent, tu n’es pas là par hasard et tu ne le seras jamais. Ces regards distants, voyeurs plus que témoins, montrent à quel point ce que nous donne à voir Leila Sadel implique que l’on se positionne. Elle travaille au corps le regardeur, qui prit dans ce dispositif, ou le son l’enveloppe littéralement, n’a de choix que de participer au drame, qui se joue et se rejoue (en boucle) avec les protagonistes. Dans cette répétition de la boucle vidéo naît le rituel de passage, au sens de transformation, cette répétition nous amène à l’imagination, à l’action. La nécessité de faire un choix, ce à quoi nous guide le personnage de Remind me, plongé dans l’indécision de ses actes, et qui en voit en même temps la proche absurdité dans la répétition qu’il s’inflige. Les limites de l’aliénation sont à chaque fois mise en jeu, parce que le regard n’est pas anodin, et que l’action, ou le non agir renvoit chacun à ses propres limites.
Il ne sera pas posé la question du narcissisme, car il est absent du travail de Leila Sadel, jamais les images qui surgissent, vidéo ou photographie, ne sont à voir comme ce qui pourrait jaillir du miroir. Ce que l’on y voit n’est pas elle, mais le désir d’être autre justement. Son travail est à voir comme un faisceau de présomption, une enquête à la fois écrite, avec les traces, comme des empreintes à relever (elle, le corps), et scénarisée comme la fiction qui nous est donnée à voir (spectateur, le corps). Leila Sadel nous propose des expériences de l’ordre de l’immanence et non de l’ordre du symbolique.
(...)