chronique d'une traverséeavec Emmanuelle Samson

Chronique d'une traversée est un récit multimédia d'Emmanuelle Samson auquel j'ai collaboré à la mise en forme pour une lecture sur internet. Ce projet à reçu le soutien d'Alca et d'une résidence au Chalet Mauriac en 2013.


Le fil principal, qui est l’origine du travail, est l’expérience d’une longue attente d’une quarantaine d’heures passées dans des transports, des aéroports et des gares, entre Bangalore en Inde et Bordeaux où je réside. Pour occuper ce temps, je me suis donné la contrainte de prendre au moins une photographie toutes les heures et de noter dans un carnet des descriptions précises de ce que je voyais, de ce qui se passait et des gens que je croisais. Encore imprégnée de mon séjour en Inde, mes observations se sont mêlées, par association d’idées, à mes souvenirs récents. Ainsi le récit a commencé à perdre sa linéarité en créant des liens vers des temporalités différentes. Après mon retour, quand j’ai commencé l’écriture de ce travail à partir de mes notes, j’ai élargi et multiplié les connexions en retrouvant des dessins, des photographies et des vidéos capturés pendant mon séjour. Je me suis aussi souvenue avec précision des échanges que j’ai eus avec mes amis indiens, des expériences culinaires, des fêtes religieuses auxquelles j’ai pu assister, etc.


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La résidence d'écriture numérique au Chalet Mauriac d'Emmanuelle Samson et Guillaume Hillairet.
Propos recueillis par Didier Arnaudet, le 4 octobre 2013.


Emmanuelle Samson – Guillaume Hillairet Chronique d'une traversée
Les chemins d’Emmanuelle Samson et de Guillaume Hillairet devaient se croiser. Leur histoire est bien sûr différente, mais ils ont le même désir d’emmener l’autre dans l’expérience de la rencontre et du partage. Cette collaboration est d’abord un beau moment d’équilibre entre deux regards et deux trajectoires. Le résultat est davantage qu’une simple somme de compétences. Il s’impose comme un questionnement ouvert,

Pourquoi ce choix de l'écriture et comment situez-vous cette pratique par rapport à votre démarche plastique ?
Emmanuelle Samson : L'écriture a toujours été présente dans mon travail. Je ne la place pas sur un plan différent de mes autres pratiques artistiques (dessin, sculpture). Elle est pour moi un moyen parmi d'autres d'aborder le monde. Elle me permet de m'approcher très près des choses, de découvrir des détails assez précis. Différemment du dessin, elle me permet de saisir des moments très fugaces et de décrire des choses invisibles. Elle convoque la mémoire. Comme la sculpture, elle induit un comportement particulier, une écoute, une attention et une certaine minutie.

Qu'est-ce qui a motivé l'écriture de « Chronique d'une traversée » ?
E. S. : Deux jours avant de quitter Bangalore en Inde pour rentrer à Bordeaux, je me suis intéressée à mon billet retour. C'est à ce moment-là que j'ai brusquement compris que ma correspondance à Colombo n'était pas à 1h30 pm mais à 1h30 am dans la nuit suivante et à la date du lendemain ! Après un moment d'effroi, j'ai commencé à chercher comment j'allais pouvoir occuper tout ce temps. J'ai décidé de me donner un travail et de m'y tenir comme à une véritable mission : j'allais prendre, autant que possible, une photographie toutes les heures, et décrire ce qui se passerait, ce que je verrai, et d'autres choses que je ne pouvais pas prévoir.

En quoi la question de l'attente travaille votre écriture ? En l’occurrence, cette attente est particulière puisqu'elle s'inscrit comme étape d'un mouvement, d'un voyage et donc d'un déplacement de lieu, de culture et de temps de vie.
E. S. : C'était formidable en réalité d'avoir autant de temps libre pour écrire, regarder, écouter. Une telle disponibilité n'arrive jamais dans la vie ordinaire. Cette durée, dans une sorte d'entre-deux, m'a permis une transition plus douce d'une culture à l'autre, d'une temporalité à l'autre, d'un climat à l'autre... Ce moment imprévu, qui aurait pu être lassant, a pris la forme d'une petite aventure exploratoire. Je n'étais nulle part, en ce sens qu'un aéroport, un avion ou une gare, ne sont pas des destinations. Mon programme était établi par les horaires des transports. J'avais ainsi des rendez-vous qui ponctuaient ces deux journées. Mes parcours étaient fléchés, les portes numérotées, mes places réservées. Dans les espaces, entre ces impératifs, je n'avais rien à faire. Et c'est dans cette attente que le travail a pu se faire.

Pourquoi cette écriture n'est pas pour vous suffisante, et donc quelle est la nécessité de l'inscrire dans un projet numérique ?
E. S. : Je pourrais comparer cette écriture avec une ligne dans un dessin ou dans une sculpture. A un moment donné, cette ligne doit rencontrer d'autres lignes pour qu'un espace puisse se mettre à exister. Les intersections servent à créer des liens, des passerelles entre des mondes, des liens de navigation. C'est comme la nécessité des voyages et des déplacements, pour rencontrer les autres, nous rendre compte de nos différences et de la complexité du monde, échanger nos points de vue. Dans un livre papier, j'aurais pu placer les liens sous forme de notes de bas de pages, mais je n'aurais pas pu faire des liens entre les notes elles-mêmes. Il aurait été possible d'introduire des textes différents, des dessins et des photographies, mais je voulais placer des sons et des vidéos dans certaines pages, à certains moments. Je pensais déjà depuis quelque temps à la construction d'un objet numérique. Cette expérience m'intéressait. J'avais déjà essayé d'imaginer des choses à partir d'autres textes. Puis, avec la matière ramenée de ce voyage, il m'est apparu évident que l'espace des gares et des aéroports, en tant que carrefours du monde, convenait bien à un projet numérique. J'ai construit bon nombre d'arborescences qui devenaient chacune très complexe.

Qu'est-ce qui vous a intéressé dans la proposition d'Emmanuelle ?
Guillaume Hillairet : Dans un premier temps, la proposition d'Emmanuelle m'a intrigué parce qu'elle était faite d'incertitude et de questionnement à propos d'un récit auquel elle voulait donner une forme, encore indéterminée, mais dans la sphère du numérique. Ses premiers mots pour m'inviter à travailler avec elle sur Chronique d'une traversée était que justement je n'étais pas un web master, mais d'abord un plasticien capable à la fois de comprendre les enjeux plastiques d'une telle entreprise, et de penser la chose plus en terme de mise en espace bricolé numériquement que d'une mise en communication de son texte. J'ai certainement accepté de me plonger dans ce travail, parce que je sentais aussi un fort engagement de sa part de me laisser une place dans la construction / reconstruction de son récit.

Comment définissez-vous votre implication dans un tel projet ?
G. H. : À la fois comme prescripteur des moyens techniques à mettre en œuvre pour donner forme aux désirs de cheminement d'Emmanuelle à travers son récit, mais aussi comme premier explorateur des méandres de sa pensée créatrice, puis, à tour de rôle, lecteur attentif et utilisateur versatile d'internet, navigant de lien en lien, au fur et à mesure que l'objet éditorial prenait forme, pour me faire l’avocat du diable. Ce qui m’a motivé, c'est de pouvoir apporter une compréhension des intentions et de les porter, en accompagnant le processus créatif de manière fluide, et en bonne intelligence avec celles-ci.

Qu'apporte au texte cette expérience de l'apparition liée à la fragmentation, la prolifération et donc à un principe de navigation ?
E. S. : La première page que nous avons réalisée, Guillaume et moi, a été celle de la ligne de temps qui traverse tout le récit. Cette page, très allongée, est une image. S’y greffent des photographies, des mots, des chiffres, des sons, des signaux, un dessin et des notes. Elle donne accès aux vingt chapitres qui composent la traversée et que j’ai découpés en fonction de mes déplacements. Dans notre travail de mise en page, sachant qu’ici, la page numérique offre un espace quasiment infini que l’on pourrait arpenter sans presque jamais l’épuiser, nous avons construit chacune des pages comme des images, en plaçant les éléments les uns par rapport aux autres en cohérence avec le sens du récit. Les zones formées par les textes et celles occupées par les images se superposent de temps en temps ou apparaissent en transparence. Elles sortent parfois du cadre de l’écran. Ces hors champs entraînent du déplacement et certaines formes d’apparitions. Chaque changement de page correspond, soit à un changement de position géographique, à la description d’un nouvel espace que j’ai traversé, soit à la survenue d’un évènement ou d’un souvenir. Certaines pages sont plus complexes que d’autres qui, elles, permettent des respirations, des temps d’arrêt. C’est pour parler de la complexité du monde, pour circuler dans le temps et l’espace, et pour faire des liens entre les mondes que ce travail a pris la forme physique d’une arborescence parsemée de carrefours. Cette construction n'était possible que sur internet.
G. H. : Je me souviens de l'expérience de Chris Marker Immemory qui à l'époque pouvait se servir du support indépendant des plateformes de lecture qu'était le CD-ROM. Je crois que la manière dont il a envisagé son objet est assez proche de la nôtre, avec des moyens techniques différents. Comme j'en avais parlé aussi à Emmanuelle, l'expérience de House of leaves de Mark Z. Danielewski est proche également, mais cette fois-ci sous la forme d'un livre. Nous avons un support type site internet (hébergement, langage et mise en forme, accès) même si ce n'est pas un site internet au sens où toutes les informations seraient accessibles et visibles depuis la page d'accueil. Mais un site comme desordre.net se rapprocherait du type d'objet que nous avons produit. Pour le moment, je serais d'avis de laisser le spectateur définir lui-même comment il perçoit cet objet.

Comment qualifier le fruit de votre collaboration ? Comment peut-on nommer ce que vous avez produit ?
E. S. : Je crois que grâce au mouvement qui entre en jeu dans cette lecture, le visiteur est placé dans la même position que la danseuse que j’ai invitée dans mes sculptures en 2010. Ce visiteur cherche un chemin, il ouvre des fenêtres, il franchit des seuils, il traverse des espaces, il se perd, il emprunte des passages, il retrouve des repères... Mais, si ce travail, à cause de sa forme, n'est plus un livre (je ne suis pas encore tout à fait convaincue de ça), il n’est pourtant pas une sculpture... Je ne sais pas répondre aujourd'hui d'une autre façon à cette question.
G. H. : Il n'y a pas de hasard dans l'apparition des éléments du récit. Il y a un chemi- nement lié à un temps donné (le trajet et l'attente entre Bangalore et Bordeaux), propice à l'émergence de souvenirs, au hasard des rencontres et des moments vécus. Mais la mémoire, on le sait, se construit en référence au présent. Elle n'est ni immuable ni totalement enfouie, se manifeste par bribes et quand on ne l'attend pas. C'est à mon sens le principe de navigation qui existe ici. Emmanuelle lui a donné un itinéraire à plusieurs entrées pour le partager avec d'autres. Pour moi, le texte n'existe pas, il existe un récit lié à des moments de lecture, de regard et d'écoute. C'est en cela que cette notion de livre m'a toujours paru obsolète dans ce projet que je n’ai jamais considéré comme un livre, mais plus comme un hypertexte, un rhizome.

Chronique d'une traversée article en pdf


2013